Les derniers chiffres du marché de la bande dessinée en France révèlent une situation contrastée. Après deux années record en 2021 et 2022, le secteur a enregistré en 2024 une baisse de 9% en volume et 4% en valeur. Malgré ce repli, la BD demeure solidement ancrée comme le deuxième segment du marché du livre en France, représentant 22% de la production totale avec un chiffre d’affaires de 837 millions d’euros, un niveau toujours 50% supérieur à celui de 2019.
Sommaire
Un marché en mutation face aux défis économiques
Cette tendance baissière n’est pas propre à la France mais s’observe dans la plupart des pays européens. L’Espagne (-7%), le Portugal (-7%), l’Italie (-8%), le Royaume-Uni (-5%), les Pays-Bas (-11%), la Belgique (-9%) et la Suisse (-12% en partie alémanique, -14% en Romandie) connaissent des reculs similaires. Les analystes de GfK interprètent ce phénomène comme un retour à la normale après les années exceptionnelles post-Covid, période durant laquelle le marché avait connu une croissance sans précédent.
L’inflation, un facteur déterminant
L’augmentation des prix constitue l’un des facteurs explicatifs de ce repli. En 2024, les prix moyens ont augmenté significativement : +5% pour la BD jeunesse (prix moyen de 12,30€), +4% pour la BD de genre (19,80€) et +3% pour le manga (8,60€). Cette inflation, supérieure à celle du marché général du livre, a particulièrement affecté le segment jeunesse qui a enregistré une baisse de 15% en volume et 11% en chiffre d’affaires.
Le manga, pilier incontournable du marché français
Le manga reste de très loin le segment le plus important du marché français avec 52% des ventes totales du secteur. La BD jeunesse et la BD de genre pèsent chacune 22%, tandis que les comics ne représentent que 4% des ventes. Cette domination du manga s’inscrit dans une tendance de fond : depuis 2021, ces séries d’origine asiatique représentent plus d’une BD achetée sur deux en France.
One Piece et Mortelle Adèle, locomotives du marché
Parmi les meilleures ventes de 2024, on retrouve notamment « Instinct« , un manga français (manfra) du YouTubeur Inoxtag qui occupe la première place du classement. La série Mortelle Adèle de Mr Tan et Diane Le Feyer confirme son statut de phénomène éditorial français avec « Mortelle Adèle – Récréaction Générale » en deuxième position. « L’Arabe du futur – Moi, Fadi: le frère volé » complète le podium. One Piece d’Eiichiro Oda maintient sa position de série manga numéro 1 en France depuis 11 ans, avec deux volumes (107 et 108) dans le top 10.
Le Pass Culture, catalyseur de la lecture chez les jeunes
Lancé en 2021, le Pass Culture joue désormais un rôle crucial dans l’économie du livre en France. Ce dispositif, qui offre un crédit culturel aux jeunes de 15 à 18 ans, voit 40% de ses fonds dépensés dans l’achat de livres. Plus révélateur encore, près de 15% du budget total du Pass Culture est consacré uniquement à l’achat de mangas, illustrant l’engouement persistant de la jeunesse française pour ce format.
Un tremplin pour les librairies indépendantes
Les données du ministère de la Culture montrent que le Pass Culture a permis de renforcer le rôle des librairies indépendantes, qui captent une part significative des achats réalisés via ce dispositif. Cette dynamique contribue à maintenir un réseau dense de points de vente spécialisés, essentiel à la vitalité du marché de la BD en France. Les librairies indépendantes représentent désormais 22% des ventes totales de bandes dessinées, contre 18% en 2019.
L’export et l’adaptation, vecteurs de croissance
La bande dessinée française s’exporte remarquablement bien à l’international. Dans l’édition, 30% des ventes de droits concernent des bandes dessinées, témoignant d’un savoir-faire reconnu qui attire même des auteurs étrangers confiant l’intégralité de leurs droits à des éditeurs français pour bénéficier de leur expertise dans la commercialisation mondiale.
L’impact des adaptations audiovisuelles
Les adaptations cinématographiques et audiovisuelles jouent un rôle croissant dans la dynamique du marché. Entre 2015 et 2021, les adaptations d’œuvres littéraires sorties en France ont progressé de 28% en volume, portées notamment par l’audiovisuel. Pour 65% des livres adaptés, on observe un rebond significatif des ventes dans les 12 mois suivant la sortie de l’adaptation au cinéma ou à la télévision, alors que près de 50% d’entre eux cumulaient moins de 1000 ventes dans l’année précédant l’adaptation.
Perspectives et défis pour 2025
Malgré le léger repli actuel, le marché de la bande dessinée en France reste structurellement solide. L’augmentation des prix, supérieure à celle du livre en général et à l’inflation, permet au secteur de perdre moins en valeur qu’en volume. Le numérique reste marginal avec seulement 5% des ventes, tandis que le webtoon, format de lecture verticale sur smartphone, connaît une croissance rapide avec désormais plus de 4 millions de lecteurs réguliers en France.
Un lectorat en évolution
La démographie du lectorat de bande dessinée en France montre une tendance au vieillissement, avec une part de lecteurs qui diminue généralement avec l’âge. On observe également une légère disparité entre lecteurs féminins et masculins, bien que l’écart tende à se réduire. Les études récentes de GfK montrent que 52% des acheteurs de BD ont plus de 35 ans, tandis que les femmes représentent désormais 47% des acheteurs, contre 41% en 2019, signe d’une féminisation progressive du lectorat.
La création française face à la concurrence internationale
Face à la domination du manga japonais, la création française cherche à se réinventer. Le succès d’Instinct, premier manfra du YouTubeur Inoxtag, illustre cette dynamique d’hybridation culturelle. Avec plus de 350 000 exemplaires vendus en quelques mois, ce titre démontre la capacité des créateurs français à s’approprier les codes du manga tout en y apportant une sensibilité locale. Cette tendance s’observe également avec d’autres titres comme « Dreamland » de Reno Lemaire ou « Radiant » de Tony Valente, qui ont réussi l’exploit d’être publiés au Japon, consécration ultime pour un manfra.
« Le marché français de la BD traverse une phase de consolidation après des années exceptionnelles », analyse Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). « Ce qui est remarquable, c’est la résilience du secteur face aux défis économiques actuels. La diversité de l’offre, l’émergence de nouveaux talents et le soutien des politiques publiques comme le Pass Culture permettent au marché français de rester l’un des plus dynamiques au monde« .
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